RÉPONSE DES UTRAQUISTES DE PRAGUE

A LA LETTRE DE L’EGLISE DE CONSTANTINOPLE

EN DATE DU 18 JANVIER 1452

 

En traitant de la lettre adressée en date du 18 janvier 1452 aux utraquistes de Prague et contenant une invite à ceux-ci de se joindre à l’Eglise orthodoxe, j’indiquais[1], à la p. 000: ,,Il découle du libellé de la lettre que son contenu n’é-tait pas destiné à la seule communauté praguoise, mais à tous les lecteurs de bonne volonté; sans doute s’agissait-il d’une lettre ouverte.”

Porteur de cette épitre, le prêtre Constantin avait repris la route de Prague. de nouveau, vraisemblablement, par la terre ferme et peut-être suivant l’itiné-raire même qu’il avait empruntë pour se renclre à Constantinople. Quant à savoir s’il rencontrait au cours de ce voyage de retour les obstacles et les persé-cutions dont il s’était plaint lors de sa pétition à l’Eglise de Constantinople, et si, peut-être, la missive dont iJ était chargé lui facilita la route, c’est là ce que nous ignorons et avons peu de chances d’apprendre jan~is. Nous ne savons même pas quand il atteignit Prague ni dans quelles circonstances se déroulèrent son séjour et ses pourparlers dans cette ville. Nous ne connaissons que les résultats de cette négociation, c’est-à-dire la réponse des utraquistes de Prague à ’Eglise de Constantinople.

Gette réponse nous est parvenue en teneur double: l) L’une s’est conservée en un manuscrit actuellement de la bibliothèque universitaire de Prague, jadis de Ia bibliothèque des princes de Lobkovic[2] 2) La seconde nous a été gardée sous la forme d’un manuscrit également conservé aujourd’hui à la biblio-thèque universitaire de Prague, naguère à la bibliothèque de Petr Vok de Ro¾mberk, dans un livre daté de 1609.[3] Cette seconde teneur nous est aussi connue par une ancienne traduction tchèque que je désigne par 2a[4]

Les deux textes sont datés, le n0 1) du 29 septembre 1452, et le n0 2) du 14 novembre 1452, tandis que le no 2a) porte simplement le m.illësime 1452. L’espaco de temps séparant les nos1) et 2) est de 45 jours, soit un mois et demi. Voici tout d’abord le texte n0 1.

 

[Litterae cleri ex Bohemia ad Graecam  |  Ecclesiam, Quae continent querelam  |  et gratiarum actionem pro datis litteris  |  plenis benivolentiae et de flde Legationis 5 |  ad eandem institutae  | ]

 

Illustrissimo et Clarissimo Principi et domino  |  Constantino Palaeologo Caesari Graeciae semper  |  florentissimo. Et Reverendissimo in Christo  |  Patri Domino et sacerdoti Gennadio Ecclesiae  | 10 graecae summo Patriarchae et Metropolitano,  |  Doctorique publico Constantinopolis, adeoque Universae  |  Ecclesiae Graecae debitam reverentiam et pietatem  |  cum obedientia humili deferunt. |

Administratores in Spiritualibus Consistorii |15 ArchiEpiscopatus Pragensis sede vacante | cum universo clero illis subjecto. |

Agnoscimus praestantissimum esse vitae humanae artijficium et Magiste-rium imitari opera et facta | primitivae Ecclesiae. Deus siquidem, qui iussit lumen  |  e tenebris prodire atque elucere, accendit in cordilbus nostris fidem Evangelii Domini et Servatoris | nostri Jesu Christi, tit imitemur actiones primitivae Ecclesiae, et populo fideli administraremus(!) Venerajbile Sacra-mentum Corpus et Sanguinem*) Domini  | 25 sub utraque specie; quae fides cum ardeat in nobis, ducit nos in agnitionem et amorem dei, | qui ex abysso Suae misericordiae sine fine efficit  |  in nobis, ut possimus re praestare quae precipit. I quo circa hoc lumen in universa nostra Regione  | 30 fulget adeo, ut Simonia, Cleri, avaritia, fastus et | superbia et innovatio AntiChristi quotidie notior | fiat, et palam ceu abominatio aperte taxetur.

Vae autem ubi, proh dolor, regnat ille homo peccati,  |  adversarius, qui non solum extollit sese supra |35 omne quod est deus, sed adorari quoque vult in loco sancto templi sedens, et sese ostentans, tanjquam esset Deus. Ab eo scimus, aspeximus conjburi amicos et fratres, variique**) generis crudelisjsima morte affici, innumerabilesque nos inven|40erunt, ut scriptura dicit, anxietates, onus enim fluctuosi maris defluxit in nos. Is autem  |  qui metas ponit omnium rerum aeternus salvator, | custodivit et defendit nos, eductoque gladio suo et | intento arcu, multoties agmina hostium, et |45 copias externarum gentium, bellicosis-simosque | cataphraotos, decertando pro nobis, a nostra patria | propulit: qua-propter assidue gratias illi agijmus, quod post lacrimas nos afficit laetitia. I Nam post moerorem et tristitiam numquam |50 desinit suos eonsolari.

 

Porro inter caetera | plurima miracula divinae consolationis adlmiramur et amplectimus (sic!) summa cordis nostri laetitia benevolentiam et dilectionem Vestram L erga nos, quod nec opinantes nos inviseritis: |55 Nam consolati estis nos litteris vestris plenis | amore atque favore incredibili in Constantinum Magistrum et doctorem in Jesu Christo dilectum fidelem amicum et coadju-torem et legatum | nostrum. Sint itaque gratiae aeterno deo pro  | 60 tam inef-fabili dono illius, quia gratia tanti | muneris citra nostrum laborem a fini-bus terrae ad nos perlata est.

Cumque reverendus idem Constantinus sacerdos, qui sua sponte nos(sics) convelnerat, ad vos rediturus sit, studiose atque |65 humlli animo petiimus ab eo, ut invisurus vestram | Dignitatem, post tot mtervaila itineris molesti, | communicet Vobis ea, quae in arcanorum (sic!) cordis ejus sinum contulimus, et conferri deinceps vobiscum | volumus. Id autem fecimus excellenter con|70-fisi ejus cum fidei, tum virtuti. quare | quantopere possumus, ex animo Vos oratos | volumus, ut viscera misericordiae et dilectionis | Vestrae erga nos re ipsa cQmmoveatis amoremque vestrum in nos effundatis. Id quod |75 vos pro laude et gloria Dei et emolumento catholicae fidei christianae re declaraturosj esse non dubitamus. Datae Pragae 29 Septemb. | Anno Domini 1452.

 

 

Les lignes 1 à 5 comportent l’en-tête et en même temps le contenu sommaire de la lettre. L’épitre proprement dite commence à la ligne 6. Les lignes 6 à 13 constituent l’adresse du message, exprimée au datif. Les destinataires sont au nombre de trois: d’abord l’empereur Constantin (XI) Palaiologos, puis Genna-dios, enfin l’ensemble de l’Eglise grecque. ta formule de politesse de l’adresse est suivie, aux lignes 14 à 16, du nom de l’expéditeur, à savoir des administra-teurs du consistoire de l’archevêché de Prague ainsi que du clergé à eux sub-ordonné.

Le texte proprement dit commence à la ligne 1 7 et se termine à la ligne 77; à la fin de cette dernière et au commencement de la ligne 78 figure la date de la missive.

 

Le texte de la lettre s’articule comxne suit:

 

La première partie (lignes 17 à 28) contient, sous une forme très condensée, la profession de foi des signataires. La principale ligne de conduite de la vie humaine est l’imitation des travaux et des actes de l’Eglise primitive. La foi en l’Evangile a conduit à donner sous les deux espèces au peuple des fidèles le sacrement de I’autel, et elle mène à la connaissance et à l’amour de Dieu.

Les lignes 29 à 32 forment une brêve transition: La lumière de la vraie foi permet de connaître et de condamner les vices de l’Eglise, notamment des prêtres.

La deuxiême partie (lignes 33 â 50) dépeint les difficultés et les persécutions rencontrées par l’Eglise tchèque ainsi que son salut. Elle se subdivise en trois sections: dans Ia section a) (ligne 33 jusqu’au début de la ligne 37) le pape de IRome est déclaré principal auteur de la persécution; la section b) (lignes 37 à 41) indique les méthodes de cette persécution; la section c) (fin de la ligne 41 au commencement de la ligne 50> expose comment l’Eglise a été sauvée de ces épreuves.

Dans la troisième partie (fin de la ligne 50 à la ligne 62) les signataires se réfèrent à la lettre de l’Eglise de Constantinople et à son porteur, le prêtre Constantin, qu’ils qualifient d’in Christo le8u dilectum fidelem amicum et coadju-torem et legatum no8trum.

Dans la quatrième partie (fin de la ligne 62 à la ligne 70) ils font savoir qu’ils ont confié de vive voix au prêtre Constantin les messages qu’il trans-mettra personnelleffient à Constantinople. Tel est l’essentiel de toute l’épitre.

Une courte conclusion (fin de la ligne 70 à la ligne 77> exprime l’instante prière en vue que satisfaction soit donnée à la requête que présentera Constantin et l’espoir qu’il en sera bien amsi.

 

Considérons maintenant le document n0 2, donc la lettre portant la date du 14 novembre 1452. Cette missive compte seulement 37 lignes de manuscrit; elle n’est pourtant, en réalité, pas beaucoup plus brève que Ia lettre n0 1, car elle est d’une écriture comportant nombre d’abbréviations. Vdyons d’abord le texte latin de la •lettre ~0 2, après quoi nous procéderons à son analyse succincte.

 

 

[Revocazio Rokyezane a Papa ad Grecos]

 

Serenissimo ac christianissimo principi domino et domino Constantino Imperatori Romeorum | palleologo semper augusto. Reverendissinio in christo patri domino et domino Gennadio | Ecclesie grecorum summoa) patriarche et omniumb) Ecclesie eiusdem doctori generali |5 necnon et sancte ipsi grecorum ecclesie — Administratores in spiritualibus Archiepiscopatus | Pragensis sede vacante cum clero sibi subiecto. Reverenciam debitam cum devocione | et omni humilitate quam decet sic prefectisc) exhibere.

Cum optimum sit vite magisterium actus ecclesie primitive imitari Deus qui dixit lucem de tenebris  |  splendescere. ipse illuxit in cordibus nostris fidem evangelii domini et salvatoris iesu  | 10 christi, ac praxim ecclesie sancte primi-tive communicandi scilicet populum fidelem corpore et sanguine | specie sub utraque quam suo lumine illustrando nobis cognoscere diligere et facto implere concessit ex abisso misericordie sue infinite qua rutillat universa terra Simoniam cleri Avariciam Superbiam supereminentem. ac novitates antichristi clare detegentes | reprebendendo detestamur.

Exinde . heu . Ach . ve IRegnante homine peceati qui adversatur |15 et ex-tollitur . super omne quod dieitur deus . aut quod colitur. ita ut in templo dei sedeat ostendens se tanquam ipse sit deus—persecuciones hereticaciones . blas-phemias amicorum incineraciones . variarum mortium crudelissimas — passi clades Sic quod | innumerabiles nos invenere tribulaciones . cum omnes fluctus induxerit sevi maris | super nos — ponit mari terminum suum . eustodiens nos et protegens. gladium suum |20 vibrans pariter et arcum extendens iteratis vicibus . turmas hostium — et gentes exteras | armorum pro nobis debellando. et de regno nostro expellendo — Pro quibus omnibus gracias | agentes semper. qui post fletum exultaeionem infudit (sic) et post tribulacionem non desinit  |  suos relevare.

Eciam inter pleraque alia munerad) — divine consolacionis et preclara opera huius magne caritatis vestre et insperate avisaeionis non sine cordis |25 magna exultacione miramur graciam — cum nos per Reverendissimum dominum constantinum | Magistrum et doctorem in christo fidelem amicum et coopera-torem nostrum . ydoneumque oraltorem vestrum literis vestris mirae) gracia refertis . et caritate redundantibus plaeuit | consolari Gracias deo super venera-bili dono eius cum gracia tanti beneficii preter solitudiuem | ad nos usque a fini-bus terre sit prolata

Sed cum honorabilis doxninus Constantinus |30 sit solicicior sua voluntate profeetus est ad vos deinde ad nos reserata magna earitati vestre iterum refe-renda et declaranda in cordis scrinio reponendo | honus laboris et vie in humeros capiendo. vestras dominaeiones avisaret quod | facimus cum multa confideneia quam de ipsius gerimus probitate Supplicantes quo  |  melius valemus ut benigne caritatis viscera et cum effectu in nos copiosius |35 effundatis id quod pro honore dei et fidei extat katholice incremento — operi ac | exaceioni demandetis. —Datum prage Anno domini MecccLII0 XIIII die  |  Mensis Novembris.

 

 


 

[1]  Voir là-dessus l’article (en tehèque) de LF J (LXXVL) 1953, p. 241, note 1.

 

[2] Cote UK MS XXIJI C 5/3, pp. 793—795. C’est un recueil de manusorits — de 1a seconde moitié du XVIIIe siêcle — dit ,,recueil Putzlacher”, d’après le nom du chancelier de 1’Université de Prague qui le oonstitua. Le texte qui nous intéresse ici n’a pas été écrit dc la main même de Putzlacher; on ne dit pas d’aprês quelle source il fut copié (je remer-cie Mme Urbánková des ses renseignements au sujet des manusorits). Ce n’est donc pas l’original, envoyé à Constantinople, qui serait parvenu entre les mains du pape et que celui-ci aurait retourné à Prague, connne le considère — en partie selon Vanìk Valeèovský —M. Pau1ová: Styky èeských husitù etc., tirage à part (1918), p. 67.

 

[3] Cote UK MS J F 18, fol. 2Mb. Il s’agit d’un manusorit d’Oldøich Køí¾ de Telè (t 25.

III.  1504 à Tøeboò). Ce copiste était catholique et en rapports étroits avec les Ro¾mberk.

On n’indique pas d’aprês quoi il transcrivit le document. Voir les considérations sur Vanìk

Valeèovský à la page 6. Annexe II.

 

[4]  ‘Manuscrit de la bibliothèque du monastère des Croisiers de Prague, eote LIV D 2, qui eontient les continuatenrs de la Chronique de Bohême de Pøibík Pulkava de Radenín. On lit la traduction pages 204—205; l’en-tête, écrit d’une enore différente mais de la même main, se trouve tout en bas de la page 203. Il y a, dans cette traduction, des fautes grossiê­res provenant d’une transoription incorrecte de l’original tohêque. Annexe III ab.

 

* Il y avait écrit Sanguinis, transcrit en Sanguinem.

 

**    Diffioilement Iisible dans le manuscrit.